
Émilie Pauly
La Prière de l'Enfant des Chimères
Dans une clairière, un jeune oiseau aux allures de ptérodactyle mâtiné de plante carnivore – le dernier de cette espèce si chérie des enfants – sort de son œuf fraîchement éclos. Tendant le cou vers la fleur protectrice qui, tendrement, se penche vers lui, il pousse son premier cri : il appelle, implore, questionne le regard maternel. Quelle est cette étrange créature qui paraît au monde ? Vorace et effarouchée tout à la fois, sans défense et pourtant prête à braver tous les dangers, elle était tant attendue et semble déjà si convoitée !
Autour de ce nouveau-né, quatre personnages chimériques s’agitent, prêts à se mesurer dans une lutte incertaine. Chacun détient un œuf d’or, comme si tous revendiquaient une parcelle du mystère de la naissance.
Le roi grotesque, affublé d’une couronne dérisoire, incarne la tentation de la possession matérielle. L’œuf qu’il garde dans sa besace est un trophée, un gage de richesse et d’autorité illusoire.
L’oiseau sabreur coiffé d’un tarbouche, paré d’un collier et portant sur le dos un globe de verre, symbolise la sagesse ésotérique. Gardien d’un savoir ancien, son œuf, réchauffé par une bougie vacillante, évoque la connaissance jalousement protégée, fragile et secrète.
L’animal à bascule qui montre les crocs, féroce mais naïf et manipulable, conserve deux œufs en cage sans en comprendre la valeur. Il incarne la cupidité instinctive, cette volonté aveugle de retenir ce qui, par essence, échappe.
Le lapin bondissant, espiègle et vif, brandit un fleuret et semble prêt à détourner la scène à son avantage. L’œuf lumineux qu’il transporte est un symbole de vitalité et de malice, une étincelle portée comme un talisman.
En face d’eux, l’« enfant des chimères » apparaît comme la synthèse vivante de ces forces disparates. Lui ne possède aucun œuf : il est l’œuf devenu chair, souffle et cri. Il réunit en lui tout ce que les chimères n’ont que par fragments : la puissance, la sagesse, l’instinct et la vitalité. Il incarne l’achèvement de leur quête : non pas en accumulant les trésors, mais en les dépassant dans sa propre existence. Aussi est-il à la fois fragile (car exposé dès sa naissance) et inestimable (puisqu’il représente ce que les autres poursuivent en vain).
Ce tableau met en scène une allégorie de la création et de la convoitise, de la fragilité de la vie et du désir qu’elle suscite. L’enfant chimérique, fruit des unions imaginaires, est à la fois vulnérable et porteur d’un avenir insaisissable. Il rappelle au spectateur que toute naissance, qu’elle soit biologique, artistique ou spirituelle, concentre autour d’elle espoir, rivalités et fascination.
Enfant qui vient de naître... Comme le roi, tu arbores une couronne. Comme l’oiseau au sabre, tu portes un collier. Tu montres les dents comme la créature à bascule, et ta truffe distinguée est encadrée d’une moustache extravagante, comme celle du lapin sauteur. Qui es-tu donc et quelle est ta prière ? T’envoler, insaisissable fruit de la multitude ? Nous enjoindre à contempler ta beauté plurielle et chatoyante, née de l’union de tout ce qui fait le monde ? Te regarder planer, toi, unité vivante née de toutes les chimères... Rêve ancestral à jamais recommencé depuis l’aube de l’humanité, enfin réalisé.
- Prix indicatif :
- Technique : Mixte : Acrylique et Huile
- Sujet :
- Discipline :
- Support et matériaux : Carton entoilé
- Année de création : 2025
- Dimensions : H38 x L46 cm