Aniruddha BISWAS

Dans mon exploration artistique, je plonge dans les nuances complexes du déplacement et de la migration, en m’inspirant de mon parcours personnel en tant qu’étudiant étranger arrivant en France. Depuis 2019, année où j’ai posé le pied à Caen ainsi qu’en France, j’ai été captivé par les profondes transformations qui se produisent lorsque l’on se trouve déraciné de sa familiarité et transplanté dans l’inconnu. Ce fut une expérience profonde, semblable à une renaissance, alors que je naviguais sur le territoire inconnu d’une nouvelle terre, d’une nouvelle communauté et d’un nouveau paysage culturel. Venant d’un petit village du Bengale occidental, en Inde, tous les aspects de mon environnement me semblaient étrangers, et pourtant, dans cette méconnaissance, il y avait le potentiel d’un nouveau départ. C’était comme si l’ardoise de mon identité avait été effacée, m’offrant la possibilité de me reconstruire et de me redéfinir à partir de zéro.

Peu après, j’ai réalisé que ce processus de redéfinition de ma propre identité n’était pas entièrement une question de table rase. Une partie du moi de mon ancienne vie est si profondément ancrée en moi que je ne pourrai pas l’effacer. En même temps, les limites de ma capacité à m’adapter à mon nouvel environnement devenaient évidentes. Je me suis intéressé à découvrir les expériences d’autres personnes dans une situation comparable. Grâce à mes échanges avec d’autres personnes déplacées (y compris des migrants), je me suis rendu compte que le processus de reconstruction de l’identité par rapport au nouveau territoire dans lequel on est arrivé est un processus continu et complexe. En cherchant à comprendre ce processus, j’ai découvert qu’il est mental, sans fin et, surtout, clandestin, lorsqu’il s’agit de l’existence du migrant. Il s’agit de notre attachement à nos racines, aux souvenirs de notre passé, qui sous-tendent ce processus complexe d’adaptation aux nouvelles conditions de notre présent. Accepter et résister,
apprendre et désapprendre, trouver des similitudes et des différences sont au cœur de cette nouvelle construction de soi.

Ces questions sont devenues essentielles à ma pratique artistique. En m’inspirant de mon expérience personnelle et des histoires des autres, mes projets artistiques abordent les émotions et les luttes des individus qui font face aux défis du déplacement. Ils explorent les possibilités de réhabiliter son propre foyer dans un nouveau territoire et les questions centrales de ce processus: la façon dont on est reçu dans la société d’accueil, l’adaptation à la nouvelle culture, les compromis que l’on est obligé de faire, la mesure dans laquelle on conserve ses racines tout en s’adaptant au nouveau contexte, et la redéfinition de l’identité qui en découle. Les vestiges ou les restes de l’origine culturelle d’une personne sont importants pour ma pratique. Je prends en compte les empreintes d’expériences de vies antérieures qui subsistent sous la forme de souvenirs de personnes déplacées, de traces d’origine qui subsistent sous la forme de langues, de pratiques, de possessions, de photographies du passé.

Mes installations cherchent à créer des espaces d’engagement sur ces questions. Elles explorent le discours de la migration ou du déplacement par le biais du dessin, de la peinture, de la sculpture, de la photographie et de la vidéo. Mes peintures à l’huile et mes dessins au graphite, au fusain et à l’aquarelle s’inspirent des objets que j’ai apportés avec moi de l’Inde lorsque je suis venu en France. Ce sont mes talismans. Ma compréhension de la complexité d’une identité déplacée a été enrichie par mes lectures d’écrivains et de théoriciens qui se sont penchés sur l’expérience de l’exil et de la diaspora, comme Edward Said, Arjun Appadurai, John Berger, entre autres.