
Lahcen Zahra
Désobéir à Dieu
Désobéïr à Dieu.
Les cas de rupture d'alliance avec Dieu apparaissent dès les premiers temps des monothéïsmes et se perpétuent tout au long de leurs histoires.
Dieu aurait tout permis à Adam, sauf la consommation du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, en le prévenant: «de celui-là, tu n'en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras». Le Serpent, décrit comme le plus tortueux des animaux, apparut et dit à la femme que Dieu mentait, qu'ils n'en mourraient pas, mais que leurs yeux s'ouvriraient et que leur nouvelle connaissance les apparenterait à des dieux. La femme mangea du fruit défendu et en donna à Adam qui en mangea à son tour. Dieu décida alors d'expulser Adam et Eve de l'Eden et, ce faisant, les rend mortels.
Dans l'Islam, Ibliss est le nom du Diable, associé à l'orgueil et au mal. Il est le djinn qui a refusé de se prosterner quand les anges ont reçu l'ordre de Dieu de se mettre à genoux devant Adam. De par sa désobéïssance, Ibliss a été dépouillé du paradis.
Lorsque le prophète Jonas reçoit de Dieu l'ordre de se rendre à Ninive pour y dénoncer la méchanceté des habitants, il s'embarque en fait dans une direction opposée. Il est clairement désobéissant, et oblige Dieu à le ramener à l'obéissance par des moyens tout à fait extraordinaires : une tempête, un grand poisson qui avale Jonas puis le recrache sur le bord de la mer.
Pour le fidéle musulman, le libre choix de sa vie profane mais également de sa mort peut être considéré comme un acte de désobéïssance à Dieu. Le suicidé, quelles que soient ses motivations et les circonstances de son acte, encourt la damnation éternelle et est privé de la prière des morts. Son cas est pire que celui d’un criminel. A ce propos, le Prophète Mahomet, aurait dit : «Quiconque se précipite du haut d’une montagne et se tue sera jeté dans la Géhenne où il ne cessera de dégringoler éternellement. Quiconque se tue à l’aide d’un poison gardera ce poison éternellement en enfer. Quiconque se tue à l’aide d’une lame, celle-ci restera dans sa main et plongée dans son ventre en enfer où il restera éternellement.» Dans l'immolation, Le suicidé offre sa souffrance au nom d’une cause, comme ce fut le cas du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi. C'est bien cet acte de désobéïssance divine, cette étincelle qui a conduit à cet embrasement, à cette désobéïssance civile que sont les Printemps Arabes.
Le premier acte de désobéïssance de l'homme, celui d'Adam et Eve, fut aussi son premier acte de libre choix car un être dont les mouvements seraient entièrement déterminés comme ceux d'une machine ne pourraient produire le bien. La liberté est une condition du bien. Transgresser, rompre avec les traditions, c'est également Abraham quittant la maison de son père. Désobéïr, c'est l'étudiant de Tiennamein qui demeure debout devant la progression d'une colonne de chars, c'est Claudette Colvin qui à 15 ans refuse de laisser son siège à une femme blanche dans un bus, c'est Julian Assangue fondateur de Wikileaks, c'est Alexeï Navalny opposant au régime du président de Vladimir Poutine, ce sont l'éditorialiste Jamal Khashoggi et le youtubeur Raef Badaoui critiques à l'égard du nouveau monarque Saoudien, c'est le migrant anonyme qui brave les interdits et les dangers et décide de fuir un destin misérable. Tant d'autres exemples de désobéïssances saines de personnages illustres ou bien anonymes à l'origine de bouleversements societaux et civilisationnels.
Mais désobéïr suppose d'abord, d'avoir le courage de dire non à ce qui est organisé pour soi par d'autres. Désobéïr, c'est d'abord se tenir debout devant la violence et la peur. Dans le monde musulman, la violence a d’abord été celle des États contre les opposants. La violence variait d'un pays à l'autre, mais presque toujours il y avait cette peur. Une peur ancrée dans la mémoire. Peur du « pouvoir », des polices civiles, de la délation et pressions de toutes sortes, obligeant au silence, à la lâcheté et à l’autocensure. Peur de se révolter, peur de la violence du pouvoir contre les opposants mais aussi du chaos qui peut résulter de la révolution. Car, si la revendication de la liberté demeure forte malgré tout, elle s’accompagne de comportements qui témoignent d’une "peur de la liberté". Retour à la foi sous ses formes les plus rigoristes, demande de règles, critique et même refus de la démocratie.
Le Printemps Arabe, c’est d’abord la fin de la peur par l’action individuelle et collective.
Pris au piège des chocs civilisationnels artificiels et des débats identitaires, nombre de musulmans se condamnent à la schizophrénie: Et c'est tout le défi, comment soigner un malade dans le déni qui chérit son bourreau?. Trop souvent, la religion devient un obstacle aux transformations des sociétés revendiquées par ses propres peuples car on ne peut pas se révolter de tout son être et aller se prosterner 5 fois par jour à heures régulières.
Se prosterner en se considérant comme de misérables pêcheurs ne mène nulle part. Il s'agit de se redresser, demeurer debouts et regarder le monde bien en face. Une existence libre exige du courage, une compréhension du monde et de la bienveillance. Une existence libre exige un projet d'avenir exempt de toute crainte et menace.
- Prix indicatif :
- Technique : Photographie numérique
- Sujet : Tryptique
- Discipline :
- Support et matériaux : Tirage papier
- Année de création : 2021
- Dimensions : 50*70